OMÉGA
Pacifique Sud – janvier 1989
L’île de Rongelo – c’est, en fait, un atoll minuscule qui n’a d’île que le nom – est une parcelle de terre qui émerge dans un splendide isolement de 260 000 kilomètres carrés d’océan Pacifique. Elle ne s’élève pas à plus de deux mètres au-dessus du miroitement de l’eau ; elle est si basse qu’à plus de 15 kilomètres il est impossible de l’apercevoir. Poussées par le vent et les marées, les vagues déferlent sur le frêle récif qui ceinture une étroite bande de sable couleur d’ivoire, puis elles se reforment de l’autre côté. Et elles ne rencontreront nulle autre terre pendant des centaines et des centaines de lieues.
L’île est totalement nue. On n’y trouve guère que quelques palmiers qui pourrissent, réduits à leur simple tronc par les typhons. Au sommet de son point le plus élevé, les squelettes du docteur Vetterly et de ses assistants, blanchis et érodés par le soleil et les intempéries depuis des années, gisent sur le corail déchiqueté, les orbites vides de leur crâne tournées vers le ciel comme pour guetter une délivrance.
Au coucher du soleil, les nuages d’orage retiennent les derniers rayons qui vont disparaître, et ils sont teintés d’or au moment où le missile tombe silencieusement du ciel, le tonnerre de sa course perdu depuis longtemps dans l’immensité.
Soudain, un brasier blanc-bleu illumine la mer sur des centaines de kilomètres, et une énorme boule de feu enserre l’atoll. En moins d’une seconde, la masse ardente éclate et se gonfle comme un gigantesque fruit qui passe de l’orange au rosé puis au pourpre foncé. L’onde de choc balaie la surface de l’océan à la vitesse de la foudre et nivelle les rouleaux des vagues.
Puis la boule de feu lâche prise et monte en bouillonnant dans le ciel, dévorant des millions de tonnes de corail avant de les recracher en un geyser tournoyant de vapeur et de sable.
La chose a une dizaine de kilomètres de diamètre, et en moins d’une minute elle atteint une altitude de trois ou quatre kilomètres. Là, l’horreur atomique refroidit graduellement pour former un nuage sombre qui flotte vers le nord.
L’île de Rongelo a disparu. Il n’en reste qu’un creux profond d’une centaine de mètres sur trois kilomètres de large, que la mer comble en un instant. Un soleil jaune verdâtre plonge sous l’horizon.
C’est ainsi que disparut à jamais la « Mort Subite ».